Assassinat de Samuel Paty : 1 an plus tard, confidences d’eleves et professeurs
Face a ses eleves, Florence a craque.
Justine venait de parler des caricatures de Charlie Hebdo en classe la veille. Soraya, musulmane et enseignante, semble s’i?tre sentie attaquee en salle des professeurs. Shaima regrette le silence de l’ensemble de ses enseignants. Pour France 24, des eleves et des professeurs ont accepte de raconter comment l’assassinat de Samuel Paty, ils font 1 an, les a affectes.
Le 16 octobre 2020, le professeur d’histoire-geographie Samuel Paty, 47 ans, est poignarde puis decapite pres de le college a Conflans-Sainte-Honorine avec Abdoullakh Anzorov, un refugie russe d’origine tchetchene, abattu apres les faits par la police. Le jeune homme de 18 ans, radicalise, reprochait a l’enseignant d’avoir montre en classe des caricatures de Mahomet, au cadre d’un cours sur la liberte d’expression.
Le tueur avait pris connaissance du contenu de cette heure de lei§ons par une video diffusee sur Internet, et dont l’auteur, Brahim Chnina, est le pere d’une collegienne. L’adolescente, visee avec une exclusion Afin de indiscipline, avait menti a le pere : une telle derniere avait assure avoir ete sanctionnee pour s’etre elevee contre la demande de Samuel Paty faite aux eleves musulmans, en fonction de celle-ci, de se signaler au cours de votre lei§ons.
Un an prochainement, France 24 donne la parole a des enseignants et des eleves, marques par votre attaque terroriste contre votre professeur, puis par nos suites de cette affaire et son traitement en agences scolaires.
I l’instant ou Samuel Paty reste assassine, Florence se degote a la terrasse d’un cafe, a Paris, ou elle reste venue assister a une conference.
Notre trentenaire ne bosse jamais votre jour-la, veille des vacances une Toussaint. “En apprenant ce qui s’est passe, j’ai decide volontairement de ne point lire nos journaux parce que ca m’a profondement affectee. Litteralement, j’ai cru que j’allais m’effondrer”.
“J’ai retourne le train pour rentrer chez moi”, poursuit-elle. “A Paris, d’anciens collegues me disaient qu’ils allaient manifester avec des enseignants, qui se sont rassembles, 1 semaine apres la mort de Samuel Paty, place d’la Republique. J’aurais aime etre Parisienne, ca m’aurait fera du bien de partager i§a avec eux”. A defaut, en pleines vacances scolaires, Florence se retrouve seule, 2 semaines durant, sans pouvoir en parler avec des collegues. “Je suis restee au doute, avec des directives ma hierarchie tres fluctuantes. Je me demandais De quelle fai§on on allait gerer ca a la rentree, s’il y allait avoir un temps libre de recueillement…”, regrette votre professeur d’histoire geographie dans un lycee de l’academie de Nantes.
Lorsque le ministere de l’Education annonce qu’une minute de silence aura lieu a la rentree, y compris dans les ecoles primaires, une telle maman de famille pense immediatement a ses deux fils de 7 et 8 annees qu’elle souhaite preserver. “Un prof d’histoire geo – tel leur maman – fut assassine dans des conditions atroces”, rappelle-t-elle. “La violence de ce qui s’est passe m’a profondement choquee. On entendait ca en Irak ou en Syrie, mais gui?re en France. Couper la tete de quelqu’un avec un couteau de boucher, c’est horrible.” Florence, qui coupe radio et television tel a le habitude quand ses fils paraissent presents, prefere un expliquer cela s’est passe avec ses propres mots, “plutot qu’ils debarquent dans la cour a la rentree et que ca leur tombe dessus”. “J’ai aussi ecrit a leurs enseignantes pour les prevenir et elles ont ete exceptionnelles. J’me souviens que l’institutrice de CP de mon gamin m’a appelee d’emblee pendant des vacances pour me rassurer par telephone”.
Puis la rentree arrive avec son lot d’incertitudes liees au contexte sanitaire de l’epoque. En octobre 2020, la France vit un pic de deces lies a la pandemie de Covid-19, et le protocole sanitaire au sein des agences scolaires ne permet gui?re d’envisager de reunir l’ensemble des eleves pour un moment de recueillement. Au lycee de Florence, la direction exige a chaque professeur d’organiser une minute de silence dans sa salle de classe a 11 heures. “On est nombreux a avoir craque devant les eleves. Moi je n’ai pas reussi a lire la lettre de Jean Jaures aux instituteurs en entier. Je me suis mise a pleurer. Un de mes eleves de terminale s’est leve. Il a lu le propos a ma place jusqu’a J’ai fin, sans que je ne demande rien”.
A ce moment-la, l’enseignante se sent incapable d’en faire plus, ni d’y consacrer 1 file d’une heure.
“J’etais encore trop dans l’emotion et je n’arrivais gui?re a prendre de la distance. On a envoye devant des eleves un groupe d’adultes totalement traumatises par ce qui c’etait passe, sans meme se dire qu’il fallait d’abord s’occuper d’eux, avant de s’occuper des eleves.” Decue, Florence attendait de sa hierarchie l’organisation d’une heure banalisee, durant laquelle les professeurs auraient pu ne serait-ce qu’echanger entre eux, pour “digerer la nouvelle”. “J’ai eu le sentiment que les mecs ne prenaient pas la mesure des choses”, repete-t-elle.
Notre professeure d’histoire geographie a deja montre des caricatures de Charlie Hebdo a ses eleves, “au moment des attentats de Charlie [en janvier 2015], car on avait reclame aux profs de ma discipline d’expliquer des evenements aux eleves. Et tout semble s’i?tre bien passe”, raconte-t-elle sans regrets. “Des caricatures, on en utilise bien moyen en histoire geographie. Notre document n’est nullement juste une image qu’on colle pour valider votre propos. C’est un objet d’etude qu’on apprend a decortiquer, a saisir et a critiquer. Quand on se censure c’est fini, votre n’est plus la peine d’etre professeur”.
Encore aujourd’hui, l’enseignante se dit “marquee” et regrette que le ministere de l’Education ait annonce des hommages en classe a Samuel Paty “a la derniere minute”, “sans preparation”, car i sa place “bien commemorer est essentiel”. “Emotionnellement, ca n’est gui?re digere pour moi et la facon dont les choses se reproduisent a nouveau me pose des questions sur l’institution Afin de laquelle je travaille”, conclut-elle.
“Je l’ai appris en revenant chez moi, juste apres le travail. J’ai allume la television et J’me suis mise a pleurer. Les bambins ne comprenaient nullement trop pourquoi j’etais dans cet etat en regardant des infos. Je me revois un expliquer et cela se passe en disant ‘ca aurait pu m’arriver’”, raconte Soraya, mere de trois enfants et professeure des ecoles planetromeo profil depuis une decennie dans l’academie de Creteil.